Frederi
Mistral Memòri e Raconte Sian tout d'ami, sian tout de
fraire, Sian li cantaire dóu pais ! Tout enfantoun
amo sa maire, Tout auceloun amo soun nis : Noste cèu
blu, noste terraire, Soun pèr nous-autre un paradis.
Sian tout d'ami galoi e libre, Que la Prouvènço
nous fai gau ; Es nàutri que sian li felibre, Li gai
felibre prouvençau ! En prouvençau ço que l'on
pènso Vèn sus li bouco eisadamen : O douço lengo de
Prouvènço, Vaqui perqué fau que t'amen ! Sus li
frejau de la Durènço N'en fasèn vuei lou sarramen !
Sian tout d'ami, etc... Li bouscarleto, de
soun paire Jamai óublidon lou piéuta ; Lou
roussignòu l'óublido gaire, Ço que soun paire i'a canta ;
E lou parla de nòsti maire, Poudrian nautre l'óublida ?
Sian tout d'ami, etc... Enterin
que li chatouneto Danson au brut dóu tambourin, Lou
dimenche, souto l'oumbreto D'uno figuiero vo d'un pin,
Aman de faire la gousteto E de chourla'n flasquet de vin.
Sian tout d'ami, etc... Alor,
quand lou moust de la Nerto Sautourlejo e ris dins lou got,
De la cansoun qu'a descuberto Tre qu'un felibre a
larga'n mot, Tóuti li bouco soun duberto E la cantan
tóutis au cop. Sian tout d'ami, etc...
Di chatouno escarrabihado Aman lou rire enfantouli ;
E se quaucuno nous agrado, Dins nòsti vers achatourli
Es pièi cantado e recantado Emé de mot mai que poulit.
Sian tout d'ami, etc... Quand li
meissoun saran vengudo, Se la sartan fregis souvènt,
Quand chaucharés vèsti cournudo, Se lou rasin moustejo bèn,
E que vous faugue un pau d'ajudo, I'anaren tóuti en
courrènt. Sian tout d'ami, etc...
Di farandoulo sian en tèsto ; Pèr Sant Aloi turtan lou got
; Quand fau lucha, quitan la vèsto; Vèngue Sant
Jan, sautan lou fiò ; E pèr Calèndo, la grand fèsto,
Pausan ensèn lou cacho-fiò. Sian tout d'ami,
etc... Quand au moulin se vèn desfaire,
Li sa d'óulivo, se vesès D'agué besoun d'un barrejaire,
Poudès veni, sian toujour lèst : Atrouvarés de galejaire
Qu'en ges de part n'i'a panca dès. Sian
tout d'ami, etc... Se'n cop fasès la castagnado,
Apereiça vers Sant Martin, S'amas li conte de vihado,
Apelas-nous, bràvi vesin, E vous n'en diren talo
astiado Que n'en rirés jusquo au matin.
Sian tout d'ami, etc... Vous manco un priéu pèr
vosto voto ? Quouro que fugue, sian eici... E vous,
nouvieto cafinoto, Un gai coublet vous fai plesi ?
Counvidas-nous: n'avèn, mignoto, N'avèn pèr vous cènt de
chausi. Sian tout d'ami, etc...
Quouro que sagatés la trueio, Manquessias pas de nous souna !
Quand s'atrouvèsse un jour de plueio, Tendren la co pèr
la sauna : Un bon taioun de fricassueio, I'a rèn de
tau pèr bèn dina. Sian tout d'ami, etc...
Fau que lou pople se satire ; Toujour, pecaire,
acò's esta... Eh! se jamai falié rèn dire,
N'i'aurié, bon goi, pèr ié peta ! Fau que n'i'ague pèr lou fai
rire, Fau que n'i'ague pèr ié canta !
Sian tout d'ami galoi e libre Que la Prouvènço nous fai gau
Es nàutri que sian li felibre, Li gai felibre prouvençau !
De la Grand
Felibrairié de Font-Segugno Li Felibre assembla lou 21 de
mai 1854 | | Frédéric Mistral
Mémoires et récits
Nous sommes des amis, des frères, Étant les
chanteurs du pays ! Tout jeune enfant aime sa mère,
Tout oisillon aime son nid : Notre ciel bleu, notre terroir
Sont, pour nous autres, un paradis. Tous
des amis, joyeux et libres, De la Provence tous épris,
C'est nous qui sommes les félibres, Les gais félibres
provençaux ! En provençal ce que l'on pense
Vient sur les lèvres aisément. O douce langue de Provence,
Voilà pourquoi nous t'aimerons ! Sur les galets de la
Durance Nous le jurons tous aujourd'hui !
Tous des amis, etc... Les fauvettes n'oublient
jamais Ce que leur gazouilla leur père, Le rossignol
ne l'oublie guère, Ce que son père lui chanta ; Et
le langage de nos mères, Pourrions-nous l'oublier, nous autres
? Tous des amis, etc...
Cependant que les jouvencelles Dansent au bruit du tambourin,
Le dimanche, à l'ombre légère, A l'ombre d'un figuier,
d'un pin, Nous aimons à goûter ensemble, A humer le
vin d'un flacon. Tous des amis, etc...
Alors, quand le moût de la Nerthe Dans le verre
sautille et rit, De la chanson qu'il a trouvée Dès
qu'un félibre lance un mot, Toutes les bouches sont ouvertes
Et nous chantons tous à la loi. Tous des
amis, etc... Des jeunes filles sémillantes
Nous aimons le rire enfantin ; Et, si quelqu'une nous
agrée, Dans nos vers de galanterie Elle est chantée
et rechantée Avec des mots plus que jolis.
Tous des amis, etc. Quand les moissons seront
venues, Si la poêle frit quelquefois, Quand vous
foulerez vos vendanges, Si le suc du raisin foisonne
Et que vous ayez besoin d'aide, Pour aider, nous y courrons
tous. Tous des amis, etc...
Nous conduisons les farandoles ; A la Saint-Éloi, nous
trinquons ; S'il faut lutter, à bas la veste ; De
saint Jean nous sautons le feu ; A la Noël, la grande fête,
Ensemble nous posons la Bûche. Tous des
amis, etc... Dans le moulin lorsqu'on détrite
Les sacs d'olives, s'il vous faut Des lurons pour
pousser la barre, Venez, nous sommes toujours prêts
Vous aurez là des gouailleurs comme Il n'en est pas dix nulle
part. Tous des amis, etc...
Vienne la rôtie des châtaignes Aux veillées de la
Saint-Martin, Si vous aimez les contes bleus,
Appelez-nous, voisins, voisines : Nous vous en dirons des
brochées Dont vous rirez jusqu'au matin.
Tous des amis, etc... A votre fête patronale
Faut-il des prieurs, nous voici... Et vous, pimpantes
mariées, Voulez-vous un joyeux couplet ?
Conviez-nous: pour vous, mignonnes, Nous en avons des cents au
choix ! Tous des amis, etc...
Quand vous égorgerez la truie, Ne manquez pas de faire
signe ! Serait-ce par un jour de pluie, Pour la
saigner on lie la queue : Un bon morceau de la fressure,
Rien de pareil pour bien dîner. Tous des
amis, etc... Dans le travail le peuple ahane :
Ce fut, hélas ! toujours ainsi... Eh! s'il fallait
toujours se taire, Il y aurait de quoi crever ! Il
en faut pour le faire rire, Et il en faut pour lui chanter !
Tous des amis, joyeux et libres, De la
Provence tous épris, C'est nous qui sommes les félibres,
Les gais félibres provençaux ! |